Editorial : Réguler sans museler ni bâillonner

Désormais, liker, partager ou commenter un contenu sur les réseaux sociaux peut exposer à des poursuites judiciaires au même titre que son auteur initial. La mise en garde du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lomé, Mawama Talaka, le vendredi 3 octobre 2025, a résonné comme un avertissement général adressé à l’ensemble des utilisateurs du numérique.

Cette sortie traduit une volonté affichée des autorités togolaises de mieux encadrer l’espace digital. Mais elle suscite, dans le même temps, de vives inquiétudes : jusqu’où ira la régulation sans basculer dans la censure ? Car pour beaucoup, les réseaux sociaux demeurent l’un des rares espaces d’expression libre accessibles à tous.

Au cours de la dernière décennie, ces plateformes se sont imposées comme des lieux d’échanges directs, d’opinions spontanées et de mobilisations citoyennes. Véritables contrepoids face à des médias traditionnels plus structurés et moins ouverts, elles ont permis à nombre de citoyens de briser le silence, de dénoncer des abus et de défendre des causes souvent ignorées. Mais cette liberté s’est accompagnée d’excès : diffamation, injures publiques, atteintes à la vie privée et propagation de fausses informations. Le revers de la médaille s’est vite manifesté, mettant à nu les dérives d’une liberté sans garde-fou.

Face à ces débordements, plusieurs pays africains, du Sénégal à la Côte d’Ivoire, en passant désormais par le Togo, ont choisi de sévir. La liberté d’expression, rappellent-ils, ne saurait s’exercer sans responsabilité. « Les insultes, la diffamation et les atteintes à la vie privée constituent des infractions passibles de sanctions pénales », a rappelé le procureur Talaka, avant de préciser que ni l’auteur, ni l’éditeur, ni même le simple relais ne sont désormais à l’abri de poursuites.

Reste une zone d’ombre : qu’entend-on exactement par « contenu illicite » ? L’absence de précisions alimente les craintes d’interprétations extensives, voire arbitraires, monsieur le procureur n’ayant pas présenté une liste exhaustive lors de sa sortie.

Et dans un contexte politique togolais marqué depuis quelques mois par la montée des voix contestataires, notamment issues de la diaspora, la question prend une tournure éminemment politique. Les défenseurs des droits humains redoutent que la régulation ne serve, in fine, de prétexte pour étouffer la critique et restreindre le débat public.

Une situation qui met en lumière la frontière entre liberté d’expression et respect de la loi sur le numérique.  « Jusqu’où ira l’intention de sanctionner les abus sans étouffer le débat public ? » s’interroge un observateur.

La régulation du numérique est certes une problématique mondiale. Elle est devenue une nécessité, nul n’en doute. Toutefois, une approche inclusive et participative serait la bienvenue. Car celle-ci ne saurait se transformer en instrument de contrôle des consciences. Trouver le juste équilibre entre liberté d’expression et respect de la loi demeure le véritable défi.

Réguler, oui. Museler, non. C’est à cette ligne de crête que se joue désormais l’avenir de la parole citoyenne au Togo.

Jean Legrand Polorigni

Publicité

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *